LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

vue par Charles Freppel


Couverture du Livre de Charles FreppelDe la révolution, du 14 juillet, du jacobinisme et de l'horreur qu'ils doivent nous inspirer.
Petit hommage à Charles Freppel

À ne participer jamais au bal du 14 juillet, pas même à celui des pompiers, on s'expose, et je tends à y succomber, à mépriser en bloc la révolution française.

Commençons donc par explorer les bonnes raisons, mais aussi les errements, qu'entraîne pareille indistincte propension.

D'innombrables écrits permettent, certes, d'entrer dans une telle voie. Si l'on pose le problème en termes absolument binaires, si l'on veut conclure unilatéralement, ou bien pour ou bien contre, il devient très difficile, si l'on ne se reconnaît pas pour un robespierriste de stricte obédience, autant dire un communiste, d'aimer cette période sanglante, pathétique et finalement ruineuse de l'Histoire de France, aboutissant à Waterloo.

Rappelons ici ce nous disions dans notre chronique du 30 janvier 2008 (1) "Non, la révolution n'est pas un "bloc". Seuls s'y trompent les absolutistes et les jacobins."

Le dogme délétère du "bloc", si couramment répété de nos jours, n'a finalement été formulé que par Clemenceau, et en 1891, et encore à propos d'une pièce de théâtre que la tolérance républicaine d'alors fit retirer de l'affiche parce qu'elle osait opposer la figure de Danton à celle de Robespierre.

Car il faudra bien admettre un jour d'autres angles de prises de vue, substituant au profil de Maximilien, à la face lugubre de son ami Saint-Just et à l'ombre mortifère de Bonaparte, l'œuvre positive du parti constitutionnel, celui d'un Jean-Joseph Mounier, d'un Pierre-Victor Malouet, d'un Mallet du Pan et de tous ces monarchiens dont je suggère pour ma part d'évoquer plus volontiers le souvenir. Le grand Portalis, leur sympathisant, coulera une partie de leurs aspirations dans le bronze du Code civil et restaurera la liberté des Cultes. N'oublions pas d'ailleurs que tant d'autres modérés, de nuances différentes, inégalement estimables d'ailleurs, allant des feuillants comme La Fayette et Duport aux fédéralistes girondins, intervinrent, sinon avec succès, encore moins dans l'union, mais avec lucidité et courage pour freiner le règne terroriste. Celui-ci dura un temps assez bref (1793-1795). Il réprima des martyrs qui tenaient plus aux partis modérés tels André Chénier ou Charlotte Corday qu'aux prétendus, factices et autistes intransigeants. Immédiatement apeurés et sitôt émigrés, les lamentables frères du roi ne s'impliquèrent jamais aux côtés de leurs héroïques chouans. Et affreusement ils les abandonnèrent, comme à Quiberon en 1795.

Le drame de la France tint alors et tient encore au syndiac liquidateur des désordres. En 1799, il s'instituât à la fois en mainteneur du jacobinisme, en oppresseur de l'Europe et en défenseur des acquéreurs de biens nationaux. Sa légende intoxiqua les esprits. Elle fonctionna tout au long du XIXe siècle au profit de ces dynasties bourgeoises dont l'exécration alimenta la juste fureur d'un Beau de Loménie.

Parmi les mérites d'un Mallet du Pan retenons celui d'avoir prévu, dès 1793, ce régime dictatorial militaire. Il usurperait la notion même de l'identité française, au point que le peuple asservi s'y perdrait. Le devoir patriotique deviendrait l'holocauste national: "pour elle [la république] un Français doit mourir". De cet affreux refrain n'oublions pas qu'un Giscard imaginera même de faire un hymne national.

Ces réserves étant posées, ni l'ensemble de la période, ni les idées dominantes issues de son héritage, ne sauraient échapper à une forme de bilan global.

Dans un tel registre, on a pu estimer les deux livres de Sédillot sur le "Coût de la révolution française" (1987) et sur le "Coût de la terreur" (1990), et apprécier le renouvellement foisonnant du sujet par le "Livre Noir de la révolution française" (janvier 2008 sous la direction de Reanud Escande). Beaucoup de travaux déjà remarquables étaient apparus lors du bicentenaire.

Mais, plus ramassé, on ne peut que saluer un travail essentiel de synthèse critique déjà accompli dès le moment du centenaire, par Charles Freppel (1827-1891).

Disons d'abord quelques mots de la dimension religieuse de cet homme aux multiples facettes. Figure marquante du catholicisme français du XIXe siècle, enfant de l'Alsace, Charles-Émile Freppel était entré dans les ordres en 1848. Très tôt, il avait occupé de prestigieuses fonctions. Dès 1855, docteur en Théologie de 28 ans, il enseigne en Sorbonne. Orateur infatigable et passionné, il joue dès lors un rôle intellectuel considérable. À cette époque, catholiques et athées se disputent les esprits. Or, la démarche Charles Freppel se détache nettement de l'influence du romantisme et de celle du grand orateur Lacordaire, si marquantes pour la génération précédente. Sa démarche tend plutôt à répondre véritablement aux divers courants positivistes. Ainsi, s'adressant à Renan : « On croit entendre parfois, au milieu de vos blasphèmes, des accents de foi perdue qui détonnent singulièrement sur le reste : cela ne nous laisse pas sans espérance… » On le verra aussi, à l'occasion du Ier Concile du Vatican, défenseur ardent de la doctrine romaine. Pendant l'été tragique de 1870, Charles Freppel devient évêque d'Angers. Pendant 20 ans, il y poursuivra une œuvre remarquable et durable. Il fut par exemple, en 1875, le fondateur des facultés libres catholiques, comprenant la nécessité de s'engouffrer dans cette courte brèche de liberté.

Car cet évêque se révélait aussi un grand politique, l'une des plus intéressantes figures du parti monarchiste. Considéré comme vaincu d'avance, il conquiert à Brest, en 1880, avec 4 500 voix d'avance, le siège de député de la 3e circonscription du Finistère. Il la représentera jusqu'à sa mort, réélu triomphalement en 1881, en 1885, en 1889. À l'Assemblée nationale, il met toute son éloquence au service de la lutte pour la liberté. Celle des chrétiens se trouve confrontée au sectarisme des radicaux triomphant. Il faut alors face au laïcisme scolaire de Jules Ferry et Paul Bert, athées militants dont il perçoit et dénonce l'hypocrisie.

Après la victoire de 1918 son cœur fut transporté dans sa chère Alsace dont l'entrée lui avait été interdite en raison de la protestation adressée au Kaiser au moment de l'annexion.

Dans le petit volume publié à l'occasion du Centenaire de 1789, il répondait, admirablement, à tous les panégyristes de la Révolution, sur deux points essentiels : non la révolution n'a pas conduit à un progrès de la France, mais à un recul ; non, elle n'a pas entraîné un renforcement moral de ce pays au sein de l'Europe chrétienne, elle a abaissé son influence et son prestige. Un siècle plus tard, la critique apparaît prophétique. Elle met en pleine et totale lumière les origines et les nuisances communes du jacobinisme, du totalitarisme et du socialisme étatiste, autant de causes du déclin français.

JG Malliarakis

Notes 1. cf Le Monde en ligne du 27.12.2007 à 17 h 29.
2. cité par Le Monde du 28 décembre 2007.
3. cf Le Point du 3 janvier 2008.

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